mardi 23 novembre 2010

Sarkozy : face aux élus en colère


Publié le 23/11/2010 12:04 Gil Bousquet et Françoise Cariès
Sarkozy : face aux élus en colère
Le congrès des maires de France est le plus grand rassemblement d'élus du pays./ Photo DDM, Morad Cherchari
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Nicolas Sarkozy participera aujourd'hui à la séance d'ouverture du congrès des maires à Paris. Une intervention qui s'apparente à une opération de désamorçage tant les élus locaux sont vent debout contre la réforme territoriale tout juste adoptée.
Aujourd'hui, le président de la République va s'adresser à l'élu préféré des Français : les maires. à l'occasion de leur 93ème congrès, les élus locaux attendent de pied ferme celui qui l'an dernier n'avait pas dénié les rencontrer et avait préféré envoyer François Fillon (à cause d'une contrainte d'agenda). Cette année, Nicolas Sarkozy n'a pas voulu laisser passer l'occasion de prendre la parole lors du plus important rassemblement d'élus du pays. Surtout à quelques mois d'échéances électorales importantes pour les cantons et le Sénat (lire ci-contre). Mais les hommes à l'écharpe tricolore sont en colère.
Rassurer sur les moyens
Même s'il fait preuve d'une rhétorique éprouvée, le Président de la République aura du mal à rassurer les maires sur les moyens financiers des collectivités locales. En supprimant la taxe professionnelle pour la remplacer par la contribution économique territoriale (CET), Nicolas Sarkozy a corseté la progressivité des ressources des communes. Car la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises qui est une des composantes de la CET n'est pas facile à évaluer à long terme. Elle est fonction de la progression ou pas du PIB. « L'évolution de nos ressources reste encore floue » regrette Jacques Pelissard (UMP), président de l'Association des maires de France (AMF). Dès 2011, les maires verront les effets de cette non-progressivité puisque les dotations d'état ont été gelées pour cause de rigueur. « Toutes nos dépenses augmentent mécaniquement ! Pourquoi les dotations ne progresseraient pas ? » s'inquiète un élu lotois.
Pour faire de sa participation au congrès de l'AMF un succès, Nicolas Sarkozy va devoir proposer du concret avec par exemple une nouvelle gouvernance qui mette les élus locaux au cœur d'un vrai dialogue au lieu de les soumettre à un rapport d'autorité. Laisser entrevoir des marges de manœuvres budgétaires pour 2012 serait aussi de bon augure.
Gil Bousquet
Le chiffre : 36 000
maires > en France. L'association des maires de France qui tient son congrès à partir d'aujourd'hui à Paris rassemble près de 36 000 maires et présidents de communautés de communes.
La phrase
« Les élus sont très, très inquiets. Certains l'exprimeront courtoisement, d'autres plus vivement ». André Laignel, secrétaire général de l'Association des maires de France (AMF).
Sarkozy pédagogue
«Le président se rend aujourd'hui au congrès des maires pour faire de la pédagogie. Il va expliquer la réforme territoriale. Il n'a prévu aucun texte écrit et répondra aux questions que se pose la salle», disait -on, hier, à L'Elysée . Cela suffira-t-il à créer le rapport de confiance que réclament ent les élus? Hier, leur président , Jacques Pelissard demandait avec insistance l un vrai dialogue entre l'État et les collectivités. «Pourquoi ne pas passer à une vraie concertation et engager le dialogue entre l'Etat et les collectivités ?» disait-il .
Expert : Jean Viard, sociologue, directeur de recherche au CNRS et au CEVIPOF
« Les maires sont tendus »
Selon vous, dans quel état d'esprit, les maires arrivent-ils à leur congrès annuel ?
De droite comme de gauche, ils sont tendus et inquiets. Le malaise est réel et profond. La suppression de la taxe professionnelle, véritable bouleversement, l'a alimenté. Depuis quelques mois la réforme territoriale, a accentué les tensions. Les maires manquent de visibilité et entendent l'exprimer, de façon modérée car ce sont des élus, donc des gens pondérés.
Nicolas Sarkozy va aujourd'hui s'adresser à eux. Que peut-il leur dire pour les apaiser ?
Sur le fond pas grand chose qui puisse détendre l'atmosphère. Il est dans une logique de recadrage des dépenses locales. Il souhaite qu'elles s'alignent sur la politique d'économies qu'il prône au niveau de l'État. Il mène sans le dire, à coups de circulaires et d'ordres donnés aux préfets une recentralisation qui s'oppose à la décentralisation, le credo des trois dernières décennies. Cela passe mal, très mal. On est loin de la réforme territoriale indispensable qui était prévue. On parlait d'une restructuration autour des villes. Elle était globalement bien acceptée. Mais, depuis, on est passé d'une réforme administrative à une réforme politicienne. Cependant les maires seront sensibles au fait que le président de la République s'adresse à eux.
Cette mauvaise humeur des édiles locaux aura-t-elle des répercussions sur les élections cantonales ?
Disons qu'elle n'avantage pas la droite et qu'il peut, ici et là, y avoir quelques basculements de conseils généraux. Ce n'est pas la réforme des collectivités territoriales qui va peser, les citoyens dans l'ensemble, n'y comprennent rien et s'y intéressent peu. Ce sont les manifestations pour les retraites qui vont déterminer certains votes. Elles ont laissé des traces durables.
Recueilli par Françoise Cariès
l'enjeu des cantonales et des sénatoriales
Ce congrès des maires servira aussi pour Nicolas Sarkozy à préparer les prochaines échéances électorales : les cantonales en mars prochain et surtout les sénatoriales en septembre 2011. Car pour le scrutin de la Haute Assemblée, ce sont les grands électeurs qui sont appelés à voter c'est-à-dire surtout les conseillers municipaux, généraux et régionaux. Les prochaines cantonales vont alimenter le corps des grands électeurs qui pourraient peut-être, pour la première fois, faire basculer le Sénat à gauche. D'autant que si les cantonales sont bonnes pour la gauche, le risque de bascule va s'accroître.
Nicolas Sarkozy aura donc à cœur aujourd'hui d'apparaître comme pédagogue. En clair : expliquer sa réforme territoriale qui passe si mal auprès des élus de terrain pour tenter de désamorcer la grogne. Car la clef du scrutin des sénatoriales réside auprès des élus des petites voire très petites communes. Souvent affichés sans étiquette, divers gauche ou bien divers droite, ces élus seront les arbitres du scrutin. Dans les petits villages, la couleur politique n'a souvent que peu d'importance. Nombre d'entre eux se positionneront surtout sur un bilan plus que sur un vote politique lors des sénatoriales. Et le bilan est mitigé : autant la réforme de l'intercommunalité passe bien et bénéficie d'un certain consensus, si modeste soit-il, autant la réforme territoriale reste en travers de la gorge. « Si nous revenons au pouvoir, l'intercommunalité sera maintenue mais nous reviendrons sur cet élu territorial qui n'a aucun sens et sur le gel des dotations » confie un élu de Midi-Pyrénées.
G.B.
Témoignages
Alain Espie maire de Carmaux (81)
On ne sait vraiment pas où cette réforme va nous mener. Est-ce la fin de l'intercommunailté, des conseils généraux ? À force de chahuter ce qui fonctionnait bien, on risque d'appauvrir toutes les collectivités. On sait que l'État veut tout piloter et même si cela se fait de façon décentralisée, on sent bien que c'est l'État qui a le dernier mot. Je crois qu'il y a des arrière-pensées politiques derrière tous ces projets. On sait bien que la majorité des collectivités locales aujourd'hui ne sont pas du même bord que le gouvernement.
L'UMP ne le supporte pas. L'État s'est appauvri, maintenant il est en train d'appauvrir les régions, les départements et les communes. Après la crise de 2008, on a demandé aux communes d'investir. C'est ce que nous demandait le préfet du Tarn à l'époque. On était les seuls à pouvoir soutenir les entreprises locales. Aujourd'hui, les maires ne s'y retrouvent plus. On a voulu supprimer la taxe professionnelle. Quelles seront les compensations ? On se bat contre cette réforme et on espère un changement politique en 2012. Malgré le malaise, il faut bien penser à l'avenir.
Sabine Geil-Gomez maire de Pechbonnieu (31)
C'est clair que les choses se dégradent. Tout le monde en pâtit, la population, les entreprises. Et sur la question, les exemples ne manquent pas. Faute de pouvoir mener à terme des projets de plus en plus coûteux, on ralentit tout. On est tous d'accord pour protéger l'environnement mais les normes de construction BBC ont entraîné une hausse de 5 % des coûts ; deux heures supprimées dans la semaine scolaire, sans concertation, et la commune doit embaucher ; la réforme sur les Clae et les centres de loisirs, c'est 20 % en moins sur les recettes.
Et que dire de la suppression de la taxe professionnelle ? Aujourd'hui, sans augmentation de l'impôt, on se demande comment les maires vont faire pour développer leurs villes. À Pechbonnieu nous avons réussi cela en les augmentant une seule fois, au minimum, en 2008. Mais j'aurais bien aimé agrandir la crèche pour laquelle il y a une forte demande, mais avec quoi ? Aujourd'hui, je suis en colère car le gouvernement nous taxe, nous les maires, de dépensiers ! Nous sommes pourtant prêts à assumer… à condition qu'on nous donne les moyens.
Serge Roques maire de Villefranche-de-Rouergue (12)
Je suis à Paris pour assister à ce congrès des maires. C'est un rendez-vous important après ce remaniement que l'on attendait depuis plusieurs semaines. Ce congrès va être l'occasion d'aborder la réforme territoriale compliquée qui va s'ouvrir. Certes, elle ne s'appliquera qu'aux prochains renouvellements mais il faut déjà y réfléchir, préparer le terrain et favoriser nos bassins de vie. Nous avons un gouvernement solide, qui a fait ses preuves. Et dans la grave crise que nous avons traversée et dont nous ne sommes pas encore sortis, il le fallait.
Aujourd'hui, j'attends de l'État qu'il continue à nous aider. Beaucoup d'élus se plaignent, disent qu'il se désengage mais si l'on fait ce constat c'est que jusqu'à présent, il était à nos côtés. Et c'est vrai qu'il est un des financeurs les plus importants pour les communes. Il joue un rôle primordial dans nos dossiers locaux d'aménagement du territoire (gendarmerie, abattoir, hôpital, rocade). Je souhaite que le président ne mette pas tous les moyens dans les villes, qu'il donne au monde rural, qui représente 80 % du territoire, les moyens d'exister et de se développer.
Gabriel Faret maire de Ourde (65)
Le malaise des maires ? C'est que dépenses et besoins ont augmenté mais que les recettes baissent. La situation est donc de plus en plus difficile pour une petite commune comme Ourde qui recense 41 habitants permanents, 120 avec les résidences secondaires. Ici, cinq habitants seulement payent l'impôt sur le revenu.
La population, vieillissante dans cette zone de montagne, a peu de moyens et le fond compensatoire n'a de compensatoire que le nom. Le budget de la commune est de moins de 50 000 €, nous avons un chantier urgent sur l'église classée et le premier devis est de 60 000 € mais il faut aussi rénover tous les bâtiments communaux… et les collectivités territoriales ne peuvent pas satisfaire tous les besoins. Et puis il y a le courant, côté dépenses : l'électricité, l'eau, les matériaux qui augmentent pour nous aussi. Le maire d'un petit village a donc un fort sentiment d'isolement face à tout cela. J'attends de l'État et du chef de l'État qu'ils se rendent compte que les collectivités locales ne peuvent plus gérer seules leurs problèmes et qu'elles ont donc besoin de moyens techniques et financiers supplémentaires.
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