mardi 13 mars 2012

L'Algérie. Cette guerre qui n'avait pas de nom...



L'Algérie. Cette guerre qui n'avait pas de nom...

Le général André Mengelle: pour lui l'indépendance était inéluctable./Photo DDM P.C.

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Fait prisonnier à Diên Biên Phu, le lieutenant André Mengelle peine à se remettre de sa captivité... Mais on est en 1955 et ce jeune hussard d'Auch doit repartir pour l'Algérie.

Il rentre d'Indochine… Dernier réserviste à avoir sauté sur Diên Biên Phu le 2 avril 1954, le sous-lieutenant de hussards André Mengelle a 23 ans. Un mois de combats meurtriers, quatre mois de captivité… C'est un cavalier de 44 kg qui se découvre chevalier de la légion d'honneur. « Et sur le retour, nous étions plutôt contents de voir le Maroc et la Tunisie s'orienter vers l'indépendance sans bain de sang. On se disait qu'après la tragédie d'Indochine, on irait vers une décolonisation pacifique » se souvient aujourd'hui le général Mengelle.

Seulement voilà… l'Algérie, c'est différent. Selon la formule, « c'est la France »… Et les tirailleurs algériens, des compagnons d'armes avec lesquels il vient de combattre contre les troupes du Vietcong. « Quelque chose n'allait pas, cependant. Courageux, ils prenaient les mêmes balles que nous, mais n'avaient pas les mêmes papiers et touchaient une solde inférieure. ça me choquait » souligne-t-il.

Juin 1955. Faute de place chez les hussards d'Auch, le lieutenant Mengelle a finalement été recasé chez les dragons parachutistes de Castres. Et on lui donne l'ordre de partir percevoir 80 jeeps à Lannemezan « avec des appelés dont la moitié n'avait pas le permis ». Huit jours pour se préparer et en suivant, c'est l'Algérie, la Grande Kabylie… « Une improvisation totale, mais sans inquiétude, on ne partait pas faire la guerre, on partait faire du « maintien de l'ordre », ironise-t-il.

Or c'est bien la guerre, d'emblée qu'il trouve, dans la montagne. Patron du commando divisionnaire, il est confronté à d'âpres combats avec ses 60 hommes, dans une situation compliquée. Le FLN est lui-même en conflit avec le Mouvement National Algérien tandis que la DST attise le feu entre les deux, l'armée étant supposée « compter les points à la fin ». Sur le terrain ?

André Mengelle tire de son bureau la radiographie d'une colonne vertébrale criblée de plombs. « Deux coups de fusil de chasse à bout portant. Le pauvre vieux, je ne lui en veux pas, il s'est sacrifié pour couvrir la fuite de jeunes. Mais le 4 décembre 1956, vu mon état, j'étais mort. J'ai d'ailleurs été fait officier de la légion d'honneur à 24 ans, à titre posthume… »

Déjà deux fois rescapé, il reviendra pourtant encore deux fois, en Algérie. Le temps de sentir ébranlées ses convictions gaullistes lors du putsch, puis pour déménager la Légion étrangère vers la Corse.

« Ce qui m'a le plus choqué a été de voir des combattants courageux du FLN qui avaient fait la guerre contre nous, réduits à la misère, tandis que les « révolutionnaires » de la dernière heure, les « Martiens », avaient tous les honneurs » se souvient-il encore. Le lendemain du 19 mars, il fêtera ses 80 ans. Comme tous les survivants, il sait que les dates historiques aiment l'humour noir…

Le putsch vu de l'intérieur
Aide de camp du général Gouraud, le lieutenant Mengelle assiste à un drôle de ballet, se tenant même prêt, avec une musette bouclée à accompagner «son» général en captivité. «10 jours avant le putsch du 21 avril 1961, Gouraud a été reçu en secret par De Gaulle. Et c'est un général très soucieux que j'ai récupéré à l'aéroport, lorsqu'il est rentré de Paris. Puis Zeller est venu à Constantine pour forcer Gouraud à se joindre aux puschistes. Je comprenais leur position, mais j'étais très critique. On savait que De Gaulle était parfaitement au courant de tout ce qui se passait. Gouraud a hésité puis basculé et rebasculé d'un camp à l'autre. Ces heures sont restées une blessure et ont laissé de profondes cicatrices à l'armée.»

interview : Guy Perville, historien, ancien professeur au Mirail, auteur de "Pour une histoire de la guerre d'Algérie"
"Pas de mémoire juste sans vraie histoire"
Vous avez parlé de «cure d'amnésie» en France, concernant la guerre d'Algérie.Qu'en est-il, 50ans après?

Oui, il y a eu une cure d'amnésie en France, qui à partir de 1962 s'est concrétisée dans un ensemble de lois et de décrets d'amnistie, concernant la guerre d'Algérie et la guerre civile franco-française qui avait opposé les partisans de l'Algérie française à la majorité des Français. Cette «amnésie-amnistie» a duré jusqu'au procès de Maurice Papon, en 1997 à Bordeaux, car ce procès a provoqué l'interférence entre la mémoire de la deuxième guerre mondiale et celle de la guerre d'Algérie: Maurice Papon, cet homme qui avait participé à la déportation des Juifs de France, était aussi responsable, en tant que préfet de police de Paris, de la répression sanglante du 17 octobre 1961 contre les Algériens lors de la manifestation organisée à Paris par le FLN. Lionel Jospin et Jacques Chirac étaient d'accord pour dire qu'il était anormal d'avoir deux politiques mémorielles, une posture morale pour la deuxième guerre mondiale, mais le silence concernant l'Algérie. Le problème, aujourd'hui, c'est que personne n'est d'accord sur ce qu'il faut commémorer…

De fait, les Archives de France viennent de censurer l'article qu'elles vous avaient commandé sur la fin de la guerre d'Algérie dans le cadre des «Commémorations 2012».Vous y évoquiez les exactions ayant suivi le 19 mars. Votre réaction?

Le 19 mars 1962 ne peut pas marquer la fin de la guerre, car à la différence du 11 novembre 1918, date de l'armistice et du 8 mai 1945, capitulation de l'Allemagne, il ne marque pas la fin des hostilités.Tenue à l'écart de la table de négociation lors des accords d'Évian, l'OAS a refusé la paix, mais aussi le FLN dont le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA) avait pourtant signé les accords d'Évian, puisqu'il s'en est pris aux civils Français d'Algérie. Pour finir le Conseil national de la révolution algérienne (CNRA) a désavoué les accords en votant le programme de Tripoli préparé par Ben Bella. Mon article a été censuré, car, selon moi, Paris et Alger, devant faire face à des élections cette année, élection présidentielle en France, élections législatives, en mai, en Algérie, les deux capitales veulent éviter toute manifestation extrémiste, en France notamment, autour de ce cinquantenaire. Or mon texte, factuel, n'a rien d'extrémiste.Mais la censure oublie toujours qu'il n'y a pas de mémoire juste sans une vraie histoire.

Les accords d'Évian étaient donc une "utopie" dites-vous?

Oui, car ils étaient pratiquement mort-nés et ont fait l'objet d'un double sabotage de la part de l'OAS, qui ne reconnaissait pas la légitimité de De Gaulle, et de la fraction du FLN qui voulait le pouvoir. Du point de vue historique, l'OAS était un fait, ne pas en tenir compte ne pouvait pas déboucher sur une paix harmonieuse, puisque cela ne pouvait qu'aggraver la spirale de la violence avec le FLN. De plus, aujourd'hui encore, certains veulent toujours masquer la gestion chaotique que la France et l'Algérie ont eue de la fin de la guerre et de l'indépendance.

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